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Les géants de la technologie nuisent aux petites entreprises, mais le gouvernement peut aider

Par Byron Holland
Président et chef de la direction

La promesse du gouvernement de revoir la Loi sur la concurrence est la meilleure chance pour le Canada de repousser la mentalité de monopole de la Silicon Valley.

Cet article a été initialement publié dans National Newswatch le 22 mars 2022.

Il y a quelques semaines, un comité important de la Chambre des communes chargé d’examiner le projet de rachat de Shaw Communications par Rogers Communications pour 26 milliards de dollars a déposé un rapport recommandant au gouvernement fédéral de rejeter la fusion. Le comité multipartite a également suggéré que, si la fusion devait avoir lieu, Rogers soit obligé de céder l’opérateur mobile de Shaw, Freedom Mobile. 

Moins de concurrence est rarement une bonne chose pour les consommateurs. Mais les questions de concurrence ne sont pas seulement présentes à l’esprit des utilisateurs de téléphones portables, qui doivent faire face à des factures potentiellement plus élevées.

Le mois dernier, le gouvernement a annoncé qu’il prévoyait de revoir la Loi sur la concurrence au Canada, alors que les appels à la réforme du droit de la concurrence se multiplient dans le monde. Le défi pour les responsables politiques sera de créer les conditions de la réussite dans l’économie numérique, qui est de plus en plus dominée par les géants de la technologie.

La Loi sur la concurrence au Canada a été révisée pour la dernière fois en 2008, l’année où Apple a lancé l’App Store et où Facebook a franchi le cap des 100 millions d’utilisateurs.

À cette période, les internautes étaient loin d’imaginer le monde dont ils allaient hériter. L’App Store d’Apple a donné à une seule entreprise un pouvoir sans précédent sur les logiciels qu’un milliard d’utilisateurs d’iPhone peuvent télécharger. Et Facebook a atteint 2,9 milliards d’utilisateurs et a perdu la confiance du public, des législateurs et des annonceurs.

En 2022, mon organisation, CIRA, gère plus de 3,2 millions de domaines .CA, dont beaucoup représentent des jeunes entreprises, des petites entreprises et d’autres entrepreneurs à travers le Canada. Au cours de ses 35 ans d’existence, le domaine .CA a aidé d’innombrables entreprises à établir leur présence en ligne, bien avant que des entreprises comme Facebook, Google et Amazon ne viennent dominer la manière dont nous interagissons en ligne.

Alors que le .CA et le Web restent une option aux plateformes des géants de la technologie, même les entreprises les plus sophistiquées sont obligées de s’en remettre à des entreprises comme Apple, Facebook et Google pour la distribution, le marketing et la communication avec les clients.

Et, malheureusement, ces entreprises sont devenues connues pour leurs pratiques nuisibles qui violent la liberté que procure Internet comme terrain de jeu équitable pour le commerce en ligne.

Par exemple, au Canada, il existe un duopole de la publicité numérique (Google et Facebook) s’appropriant les quatre cinquièmes de l’ensemble des recettes publicitaires en ligne. Ces entreprises ont utilisé leur domination pour augmenter les prix et retirer des milliards de dollars des poches des entreprises qui espèrent attirer de nouveaux clients. Alors que d’autres gouvernements cherchent des moyens de contester ce duopole, le Bureau de la concurrence du Canada a commencé à enquêter sur les activités publicitaires de Google.

Une autre pratique est l’autoréférencement, c’est-à-dire que les entreprises qui sont à la fois des détaillants et des vendeurs tiers hôtes accordent un traitement préférentiel à leurs propres produits de marque, par exemple en les classant plus haut dans les résultats de recherche que ceux proposés par les concurrents. Les petites entreprises qui utilisent, par exemple, la place de marché d’Amazon, se retrouvent instantanément désavantagées; une pratique sur laquelle le chien de garde de la concurrence au Canada a également commencé à enquêter en 2020.

De même, les développeurs et les jeunes entreprises s’inquiètent de la domination de l’App Store d’Apple. Les entreprises canadiennes qui veulent approcher les utilisateurs d’iPhone ou d’iPad sont obligées d’utiliser le système de paiement propriétaire d’Apple, ce qui permet à Apple de prendre des parts de revenus allant jusqu’à 30 %, ce qui fait augmenter les coûts pour les consommateurs. La Commission européenne et le chien de garde de la concurrence au Royaume-Uni, entre autres, ont enquêté pour savoir si les politiques de paiement de l’App Store d’Apple nuisaient à la concurrence.

Certains regarderont l’état actuel de la concurrence en ligne et diront que nous devons simplement nous occuper des quelques cas problématiques. Ils déclareront que nos lois servent les Canadiens, et qu’il suffit de les modifier à la marge.

Mais le désir de monopole est profondément ancré dans l’ADN de la Silicon Valley et des centres technologiques du monde entier. Personne n’incarne mieux cette philosophie que Peter Thiel, mentor de Mark Zuckerberg (Meta) et, jusqu’à récemment, l’un des plus anciens membres du conseil d’administration de la société, qui a déclaré que « la concurrence, c’est pour les perdants. »

Selon Thiel, le capitalisme consiste à consolider le capital, et non à encourager la concurrence. Loin d’être un point de vue marginal, sa conviction que « le monopole est la condition de toute entreprise qui réussit » semble être devenue courante dans l’économie de l’Internet. Dans l’état actuel des choses, de nombreuses personnes soutiennent que la Loi sur la concurrence au Canada permet ce comportement anticoncurrentiel en accordant la priorité à l’efficacité plutôt qu’à d’autres valeurs économiques.

La bonne nouvelle est que Thiel et les idées de la Silicon Valley font face à de nouveaux adversaires. Un mouvement antitrust mondial se prépare, tandis que, chez nous, une révision de la Loi sur la concurrence permettra aux responsables politiques de se pencher sur les problèmes qui affligent les petites entreprises canadiennes en ligne. Le gouvernement devrait examiner de près la manière dont ces pratiques et d’autres pratiques anticoncurrentielles affectent les jeunes entreprises et l’économie de l’innovation.

Tant qu’il ne le fera pas, les plateformes des géants de la technologie détenues par des étrangers continueront d’utiliser leur domination pour promouvoir leurs propres intérêts au détriment des petites entreprises et de l’innovation canadienne. Les petites entreprises sont le pilier central de l’économie. Une réforme de la Loi sur la concurrence peut leur permettre de réussir dans l’ère numérique.

À propos de l’auteur
Byron Holland

Byron Holland (MBA, ICD.D) est président et chef de la direction de CIRA, l’organisme national à but non lucratif mieux connu pour sa gestion du domaine .CA et pour l’élaboration de nouveaux services de cybersécurité, de registre et de DNS.

Byron est un expert de la gouvernance de l’Internet et un entrepreneur aguerri. Sous l’égide de Byron, CIRA est devenue un des principaux ccTLD au monde en gérant plus de 3 millions de domaines. Au cours de la dernière décennie, il a représenté CIRA à l’échelle internationale et occupé de nombreux postes de dirigeant au sein de l’ICANN. Il siège présentement sur le conseil d’administration de TORIX en plus d’être membre du comité des mises en candidature de l’ARIN. Il habite à Ottawa en compagnie de son épouse, de leurs deux fils et de Marley, leur berger australien.

Les opinions partagées sur ce blogue sont celles de Byron sur des enjeux qui touchent l’Internet et ne représentent pas nécessairement celles de l’entreprise.

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