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  • État de l'internet

Internet doit demeurer ouvert, même aux personnes avec qui nous sommes en désaccord

Par Byron Holland
Président et chef de la direction

Au cours des deux dernières semaines, on a beaucoup parlé de diverses entreprises de technologie qui retiraient des sites Web de leurs serveurs ou qui les rendaient indisponibles. En sa qualité de gestionnaire du domaine Internet du Canada, l’ACEI reçoit de nombreuses demandes de la part de personnes souhaitant connaître sa position et ses politiques à l’égard de cette question. Byron Holland répond à ces interrogations.

Au cours des deux dernières semaines, à la suite des événements survenus à Charlottesville, en Virginie, on a beaucoup parlé, dans les médias sociaux comme dans les médias traditionnels, de diverses entreprises de technologie qui retiraient des sites Web de leurs serveurs ou qui les rendaient indisponibles.

En notre qualité de gestionnaire du domaine Internet du Canada, nous recevons, à l’ACEI, de nombreuses demandes de la part de personnes souhaitant connaître notre position et nos politiques à l’égard de cette question. J’aimerais profiter de cette occasion pour apporter des éclaircissements quant au fonctionnement de l’ACEI et aux activités qu’elle exerce dans les faits.

Il importe tout d’abord de préciser que l’ACEI n’a pas droit de regard sur le contenu des sites Web .CA. Notre rôle consiste à assurer la gestion du nom de domaine et de veiller à ce que les titulaires (les personnes qui enregistrent des noms de domaine .CA) et les registraires (les organisations qui vendent le domaine .CA aux Canadiennes et aux Canadiens) respectent les exigences juridiques et politiques de l’ACEI, notamment en ce qui concerne la présence au Canada. Nous sommes également responsables d’assurer le fonctionnement sécuritaire et stable du système de noms de domaine (DNS) sous-jacent. Nous constituons une partie de l’écosystème Internet du Canada. Nous travaillons de concert avec les registraires et les entreprises d’hébergement Web, lesquels interagissent directement avec les organisations et les particuliers canadiens qui achètent un domaine .CA et qui hébergent du contenu pertinent. Nous ne sommes pas les policiers du contenu.

J’ai déjà écrit [article en anglais] au sujet de l’ouverture et de la liberté d’Internet et je maintiens ma position à cet égard. Je me dois de prendre cette position, même si elle appuie la publication de contenu allant à l’encontre de mes convictions personnelles. Un Internet ouvert doit l’être à toutes et à tous.

Cela ne m’est pas pour autant aisé. Je trouve répugnants bon nombre des sites Web en question, notamment ceux dans lesquels on exprime des points de vue désobligeants sur des gens en raison de leurs croyances religieuses, de leur race, de leur sexe ou de leur orientation sexuelle. Ces propos sont contraires à toutes mes croyances et aux valeurs que je transmets à mes enfants.

Mais je demeure convaincu qu’Internet doit demeurer libre et ouvert. Le fait de prendre des mesures à l’ACEI pour retirer certains sites Web, quel que soit le degré de répugnance de leur contenu, irait directement à l’encontre de cette philosophie. Un Internet libre et ouvert exclut mes convictions personnelles en ce qui concerne son contenu. Je ne pourrais continuer à diriger l’ACEI, une organisation qui se consacre à la gestion du domaine du Canada, si je ne soutenais pas ce point de vue pour l’ensemble des Canadiennes et des Canadiens, même ceux avec qui je suis en désaccord. Une personne ne devrait pas avoir le pouvoir de prendre ces décisions en fonction de ses convictions personnelles ou sur le coup d’une réaction émotive. L’ACEI a mis en place des politiques afin d’éviter que cela se produise.

Il y a toutefois une limite claire que cet Internet libre et ouvert ne peut franchir, soit celle de l’illégalité.

L’ACEI assurera son soutien aux autorités afin de retirer des sites qui contreviennent à la loi, que ce soit en raison d’un discours haineux, d’une fraude ou d’autres activités illégales, lorsque le prescrit une ordonnance d’un tribunal canadien ou un autre instrument judiciaire. Par exemple, un domaine .CA a récemment été saisi par le Service de police d’Edmonton [en anglais]. Le site frauduleux volait aux gens des renseignements financiers et de l’argent et, grâce à une ordonnance du tribunal, l’ACEI a assuré un soutien à la police d’Edmonton. Voilà un excellent exemple de site ayant dépassé les bornes. Les autorités compétentes sont intervenues, une ordonnance judiciaire a été envoyée, et l’ACEI a pris les mesures nécessaires. Nous soutenons les idéaux associés à un Internet ouvert, mais pas aux dépens des lois nationales.

Aux personnes qui nous ont exprimé leurs préoccupations quant à notre possible participation à des mesures de censure, soyez sans crainte, nous n’en faisons rien. Et à celles qui aimeraient nous voir sévir de manière plus vigoureuse en supprimant les sites haineux, nous vous demandons d’examiner ces sites. Si vous êtes d’avis qu’ils font la promotion d’un discours haineux ou qu’ils enfreignent la loi, communiquez avec les autorités locales et collaborez d’abord avec elles. Il y a en place des processus prévoyant la collaboration entre l’ACEI – ainsi que ses partenaires intermédiaires et les entreprises d’hébergement canadiennes – et le système de justice afin de prévenir les activités criminelles dans notre espace numérique.

Un Internet libre et ouvert comprend des fanatiques qui diffusent des idées excentriques et, à l’autre extrémité du spectre, des vidéos de chatons. Plus important encore, il véhicule de l’information utile, des arts, des sciences ainsi qu’un esprit transformateur et démocratisant. Et tout cela vaut la peine d’être protégé, même si cette protection englobe aussi les autres.

Si je ne suis pas d’accord avec le contenu de tous les sites Web du domaine .CA, je soutiens leur droit d’exister, tant qu’ils demeurent dans la légalité au Canada. Pour bon nombre d’entre nous, il serait sensé de supprimer les sites racistes, sexistes ou homophobes. Mais ce n’est pas parce que cela est sensé pour vous ou pour moi que cela est bien.

Faites le test de Miller (voyez en quoi il consiste ici [en anglais]). Il s’agit du test à trois volets de la Cour suprême des États-Unis sur l’obscénité. L’un des volets se rapporte à la communauté dans laquelle le contenu existe. Internet vient brouiller les cartes à cet égard. Le contenu publié dans une communauté peut être consommé dans une autre. Comment peut-on définir le mot « communauté » à l’ère d’Internet? Ce qui est choquant pour certains ne l’est pas pour d’autres.

Internet établit un lien entre nous tous, au Canada et à l’étranger. Il véhicule des points de vue et des perspectives divergents sur de nombreux sujets. Il ne relève pas de moi ni de l’ACEI de décider des opinions qui sont justes et de celles qui ne le sont pas. La responsabilité qui nous incombe réside plutôt dans le maintien d’un Internet libre et ouvert – tout en assurant la protection de l’espace .CA, en travaillant dans le cadre de la loi canadienne et en contribuant à son application.

À propos de l’auteur
Byron Holland

Byron Holland (MBA, ICD.D) est président et chef de la direction de CIRA, l’organisme national à but non lucratif mieux connu pour sa gestion du domaine .CA et pour l’élaboration de nouveaux services de cybersécurité, de registre et de DNS.

Byron est un expert de la gouvernance de l’Internet et un entrepreneur aguerri. Sous l’égide de Byron, CIRA est devenue un des principaux ccTLD au monde en gérant plus de 3 millions de domaines. Au cours de la dernière décennie, il a représenté CIRA à l’échelle internationale et occupé de nombreux postes de dirigeant au sein de l’ICANN. Il siège présentement sur le conseil d’administration de TORIX en plus d’être membre du comité des mises en candidature de l’ARIN. Il habite à Ottawa en compagnie de son épouse, de leurs deux fils et de Marley, leur berger australien.

Les opinions partagées sur ce blogue sont celles de Byron sur des enjeux qui touchent l’Internet et ne représentent pas nécessairement celles de l’entreprise.

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