Le 22 septembre, l’Assemblée générale des Nations Unies a adopté par consensus le Pacte numérique mondial (PNM), marquant ainsi l’un des accords intergouvernementaux les plus importants des deux dernières décennies en matière d’enjeux numériques. En plus du Pacte pour l’avenir, le PNM est un accord non contraignant qui définit un cadre de gouvernance mondial pour un large éventail d’enjeux numériques, notamment la gouvernance de l’Internet et le Forum sur la gouvernance de l’Internet (FGI).
Du point de vue de la gouvernance de l’Internet, le texte final du PNM représente un compromis entre les États membres qui prônent une gouvernance multipartite de l’Internet et la pérennité du FGI et les États membres qui préconisent un contrôle accru des gouvernements sur les ressources essentielles de l’Internet et un affaiblissement du Forum.
Bien que le débat sur le PNM ait mis en lumière les principaux enjeux concernant l’avenir de la gouvernance de l’Internet, il indique également l’émergence prochaine d’un contraste des idées accru lors du prochain Sommet mondial sur la société de l’information (SMSI)+20 de l’ONU.
Commençons par les points positifs. Le texte du PNM adopté soutient finalement la gouvernance de l’Internet multipartite, affirmant que « la gouvernance de l’Internet doit continuer à être mondiale et multipartite de nature ». Il reconnaît également le rôle de la communauté technique dans la gouvernance de l’Internet, c’est-à-dire les entreprises, les organisations, les groupes et les acteurs dont le travail quotidien est d’exploiter l’infrastructure de base de l’Internet, une reconnaissance qui était visiblement absente de l’avant-projet. De plus, il reconnaît le FGI comme « principale plateforme multipartite pour la discussion sur les questions de gouvernance de l’Internet ».
À première vue, ces victoires peuvent sembler insignifiantes mais, comme je l’expliquerai plus loin, elles étaient loin d’être garanties au début des négociations du PNM.
D’un autre côté, certains éléments du PNM devraient préoccuper la communauté multipartite. Malgré la forte opposition de nombreux États membres, le texte final contient des dispositions relatives à une « coopération renforcée », un terme historiquement utilisé par certains pays pour plaider en faveur d’un rôle multilatéral accru dans la gouvernance de l’Internet. Le PNM élargit également le nombre et la portée des initiatives de suivi et d’examen, y compris la création d’un bureau des Nations unies pour faciliter la « coordination à l’échelle du système » qui pourrait saper ou rendre superflus des aspects essentiels du FGI.
Le processus de négociation du PNM a été ponctué de défis et a manqué de transparence. Au cours des six derniers mois, le PNM a subi plusieurs révisions importantes, dont certaines, au moment de la rédaction, ne sont toujours pas disponibles sur la page Web de l’ONU consacrée à ce sujet. Les possibilités d’engagement multipartite ont été limitées et de nombreuses parties prenantes se sont interrogées sur la manière dont les contributions multipartites ont été intégrées aux textes révisés.
Au cours des négociations, certains États membres ont déployé des efforts considérables pour diluer les références au FGI, et nous avons assisté au déploiement d’efforts fréquents et coordonnés visant à miner la gouvernance multipartite de l’Internet. Les États membres dissidents ont souvent tenu leur position jusqu’à la dernière minute, ce qui a eu pour effet de prolonger les débats et d’affaiblir les États membres favorables à une gouvernance multipartite de l’Internet. À l’issue des négociations, il était évident que les États membres opposés à cette forme de gouvernance disposaient de ressources importantes, étaient bien coordonnés et étaient prêts à se battre.
Bien que le PNM ait été adopté par consensus, le Pacte pour l’avenir, soit l’accord intergouvernemental plus large auquel le Pacte était rattaché, a été soumis au vote des États membres, sans obtenir un soutien universel. En fin de compte, 186 des 193 États membres ont voté en faveur du Pacte, tandis que sept nations, dont la Russie, la Syrie et la Corée du Nord, s’y sont opposées.
Si l’on considère les aspects de la gouvernance de l’Internet du texte du PNM adopté, je pense que la communauté technique peut s’en accommoder. Les opérateur·rices devront surveiller de près les nouveaux mécanismes de suivi et, en ce qui concerne la « coopération renforcée », la situation pourrait s’avérer problématique. Toutefois, grâce à la mobilisation acharnée d’États membres clés, nous sommes parvenus à atténuer bon nombre des principales menaces qui pèsent sur la gouvernance multipartite.
Cela dit, les débats politiques les plus importants sont encore à venir.
Le PNM a mis en évidence les points de friction entourant l’avenir de la gouvernance multipartite de l’Internet, mais le prochain examen du SMSI+20 sera le dialogue qui façonnera l’avenir de la gouvernance multipartite et du FGI pour des décennies.
Pour les opérateur·rices techniques et les autres acteur·rices du secteur des noms de domaine, les résultats du SMSI+20 auront un impact direct sur nos activités. Ce processus déterminera fondamentalement si ceux/celles qui exploitent l’infrastructure et les services au cœur de l’Internet continueront à avoir leur mot à dire dans sa gouvernance, ou si les gouvernements exerceront une plus grande influence sur nos activités et nos opérations quotidiennes.
Un groupe d’opérateur·rices techniques, dont CIRA, se réunit pour défendre, faire évoluer et renforcer le modèle multipartite. Pour en savoir plus sur Une coalition de la communauté technique qui favorise la collaboration multipartite et sur la manière dont vous pouvez vous joindre à nous, consultez le site tccm.global.
La polémique entourant le PNM nous a appris que, sans un plaidoyer soutenu de la part des opérateur·rices techniques et des États membres partageant les mêmes idées, le processus du SMSI+20 pourrait conduire à une plus grande participation multilatérale dans la gouvernance de l’Internet, et changer radicalement notre industrie pour les années à venir.
Byron Holland (MBA, ICD.D) est président et chef de la direction de CIRA, l’organisme national à but non lucratif mieux connu pour sa gestion du domaine .CA et pour l’élaboration de nouveaux services de cybersécurité, de registre et de DNS.
Byron est un expert de la gouvernance de l’Internet et un entrepreneur aguerri. Sous l’égide de Byron, CIRA est devenue un des principaux ccTLD au monde en gérant plus de 3 millions de domaines. Au cours de la dernière décennie, il a représenté CIRA à l’échelle internationale et occupé de nombreux postes de dirigeant au sein de l’ICANN. Il siège présentement sur le conseil d’administration de TORIX en plus d’être membre du comité des mises en candidature de l’ARIN. Il habite à Ottawa en compagnie de son épouse, de leurs deux fils et de Marley, leur berger australien.
Les opinions partagées sur ce blogue sont celles de Byron sur des enjeux qui touchent l’Internet et ne représentent pas nécessairement celles de l’entreprise.