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Conséquences imprévues dans le cas de l’approbation de la proposition de Franc-Jeu

Par Byron Holland
Président et chef de la direction

La proposition de Franc-Jeu Canada pour les sites Web est une mauvaise idée qui pourrait avoir des conséquences imprévues, mais bien réelles, pour la population canadienne. L’ACEI a répondu par une intervention auprès du CRTC.

L’ACEI a récemment présenté des documents au CRTC en réponse à la proposition de blocage de sites Web de Franc-Jeu Canada. Comme nous l’expliquons dans ces documents, la proposition de Franc-Jeu est diamétralement opposée au concept d’Internet ouvert longtemps défendu par l’ACEI.

Franc-Jeu est une coalition d’organisations canadiennes menée par Bell Canada qui propose que le CRTC mette sur pied un organisme sans but lucratif (l’Agence indépendante d’examen du piratage), chargé de surveiller les sites Web offrant du contenu possiblement piraté couvert par des droits d’auteur et d’exiger des fournisseurs de services Internet (FSI) au Canada que l’accès à ces sites soit bloqué. Comme de nombreuses personnes et organisations partout au pays, l’ACEI s’oppose à cette proposition.

J’ai auparavant écrit au sujet des menaces à un Internet libre et ouvert, y compris des tentatives de blocage au Québec et des débats liés à la censure de sites Web . Je maintiens ma position sur le sujet, tout en affirmant que des limites à l’accessibilité à Internet devraient être permises dans des circonstances exceptionnelles ou extrêmes. La proposition de Franc-Jeu n’est pas justifiée dans la conjoncture actuelle.

Les propriétaires et les producteurs de contenu, y compris Bell Canada, ont entièrement le droit de protéger ce qui leur appartient. Toutefois, dans le cas de la violation du droit d’auteur pour le contenu protégé, le Canada a adopté des règles qui sont parmi les plus strictes au monde. Compte tenu de la situation, je remets en question la création d’un nouvel organisme de surveillance. Le Dr Michael Geist, professeur de droit à l’Université d’Ottawa et titulaire de la chaire de recherche du Canada en droit d’Internet et du commerce électronique, fait valoir des arguments convaincants en ce sens dans son blogue . Le Dr Geist est aussi membre du conseil d’administration de l’ACEI.

L’argument technique contre Franc-Jeu

Je pourrais écrire sur les principes liés à la protection d’un Internet ouvert, mais je préfère mettre l’accent sur l’aspect technique de la question, puisque celui-ci concerne directement l’ACEI.

En tant que registre responsable de la gestion du domaine .CA au nom de la population canadienne et du bon fonctionnement et de la protection de l’infrastructure sous-jacente du domaine du Canada (le système de noms de domaine (DNS)), l’ACEI a la capacité technique de fermer un site Web. Dans cette optique, la proposition de Franc-Jeu est particulièrement préoccupante, car l’ACEI pourrait être forcée à fermer ou à suspendre un domaine .CA. De plus, en tant qu’organisme profondément ancré dans l’infrastructure d’Internet et la gouvernance mondiale d’Internet, nous avons la capacité d’évaluer les conséquences des mesures proposées.

Quel est donc l’argument technique contre la proposition de Franc-Jeu?

Premièrement, je tiens à signaler que la proposition ne contient aucune information sur la façon de bloquer les sites délinquants, ce qui nous amène à spéculer sur les mesures qui seront prises. L’absence de cet élément dans la proposition est préoccupante, mais nous savons qu’il est possible de bloquer des sites Web par deux moyens que j’aimerais explorer : les services de réseau et les points de rendez-vous.

Les services de réseau sont composés d’un rassemblement de réseaux IP (protocole Internet) qui utilisent des protocoles de routage pour déterminer la façon de transférer les paquets de données entre un client et un serveur. Ces réseaux comprennent le DNS. Si vous n’êtes pas certain de comprendre le fonctionnement du DNS, nous avons créé une courte vidéo qui peut vous aider (en anglais seulement).

Les points de rendez-vous sont des identifiants qui sont plus conviviaux que des adresses IP. Ils comprennent les noms de domaine, formés de mots ou d’expressions, comme acei.ca, ce qui les rend plus faciles à mémoriser que neuf chiffres.

Nous indiquons dans notre intervention que dans les deux cas, le blocage de ces sources peut être un outil de gestion efficace si les utilisateurs donnent leur approbation. Par exemple, cette façon de faire est pratique pour une commission scolaire qui veut empêcher les étudiants de visiter des sites Web qui diffusent du contenu nuisible comme des virus et des logiciels malveillants ou qui publient du matériel inapproprié ou offensant. Dans ce cas, l’utilisateur a approuvé cette action et en est pleinement conscient.

Le blocage de services de réseau et de points de rendez-vous, particulièrement sans le consentement de l’utilisateur et lorsque des protections des droits d’auteur sont déjà en place, transforme le DNS en une arme contondante. Franc-Jeu veut écraser une mouche avec un marteau – et il n’y pas que la mouche qui est en danger.

Les documents présentés au CRTC par l’ACEI comprennent une situation semblable en Inde, où un ordre aux FSI de bloquer l’accès à un groupe Yahoo! a coupé l’accès à des milliers de groupes Yahoo! parce que les FSI n’étaient pas en mesure de bloquer une seule adresse URL. Nous avons aussi partagé nos inquiétudes par rapport à la possibilité que le site Web d’une petite entreprise puisse être infecté par un logiciel malveillant par inadvertance et que le site soit bloqué, éliminant les adresses de courriel du nom de domaine et mettant en jeu la présence en ligne de l’entreprise.

Ces conséquences imprévues n’en valent tout simplement pas la peine.

Une mauvaise idée pour la population canadienne

Nous ne pouvons que spéculer sur les motivations à la base de la proposition de Franc-Jeu. Peut-il s’agir d’une tentative d’éviter les coûts liés à l’utilisation de mécanismes légaux déjà en place? J’insiste pour affirmer que la proposition de Franc-Jeu est une mauvaise idée dont les conséquences pourraient être néfastes pour la population canadienne.

Je vous encourage à lire l’intervention de l’ACEI et les autres documents et à réfléchir aux conséquences pour le principe d’un Internet libre et ouvert au Canada et aux incidences imprévues, mais bien réelles, de l’approbation d’une telle proposition.

À propos de l’auteur
Byron Holland

Byron Holland (MBA, ICD.D) est président et chef de la direction de CIRA, l’organisme national à but non lucratif mieux connu pour sa gestion du domaine .CA et pour l’élaboration de nouveaux services de cybersécurité, de registre et de DNS.

Byron est un expert de la gouvernance de l’Internet et un entrepreneur aguerri. Sous l’égide de Byron, CIRA est devenue un des principaux ccTLD au monde en gérant plus de 3 millions de domaines. Au cours de la dernière décennie, il a représenté CIRA à l’échelle internationale et occupé de nombreux postes de dirigeant au sein de l’ICANN. Il siège présentement sur le conseil d’administration de TORIX en plus d’être membre du comité des mises en candidature de l’ARIN. Il habite à Ottawa en compagnie de son épouse, de leurs deux fils et de Marley, leur berger australien.

Les opinions partagées sur ce blogue sont celles de Byron sur des enjeux qui touchent l’Internet et ne représentent pas nécessairement celles de l’entreprise.

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