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La décision du FCC sur la neutralité du Net : un avertissement pour les Canadiens

Par Byron Holland
Président et chef de la direction

L’organisme de réglementation du gouvernement américain, la FCC, parle de renverser les règles concernant la neutralité du Net. Si cette décision devait être prise, ce qui semble probable, la FCC accordera la priorité aux objectifs financiers des entreprises de télécommunications mondiales au détriment des utilisateurs d’Internet, des nouvelles technologies et des entreprises en démarrage.

L’organisme de réglementation du gouvernement américain, la FCC, parle de renverser les règles concernant la neutralité du Net. Si cette décision devait être prise, ce qui semble probable, la FCC accordera la priorité aux objectifs financiers des entreprises de télécommunications mondiales au détriment des utilisateurs d’Internet, des nouvelles technologies et des entreprises en démarrage.

En tant que membre de la communauté mondiale de gouvernance d’Internet et défenseur de la situation du Canada en ligne, je peux affirmer que la neutralité du Net favorise un Internet où l’innovation est à l’honneur. Il est fort probable que nous n’aurions pas l’Internet gratuit, ouvert, productif et créatif que nous connaissons aujourd’hui si nous n’avions pas pu compter sur la neutralité du Net.

La neutralité du Net, c’est le principe voulant que tous les contenus qu’on retrouve sur Internet soient traités équitablement. L’organisme de réglementation canadien, le CRTC, s’est fermement prononcé en faveur de la neutralité du Net dans notre pays, mettant en place des règlements pour la protéger. Le CRTC a établi sa politique de neutralité du Net il y a dix ans. En avril dernier, pour faire suite à sa décision contre le service de musique en continu illimité que l’entreprise québécoise Vidéotron offrait à ses clients privilégiés, le CRTC a publié des directives strictes sur les pratiques de gratuité. Le Canada a adopté la bonne approche envers la neutralité du Net, et nous devons continuer dans cette lignée, surtout en considérant que les grands fournisseurs de services Internet du Canada sont également des propriétaires de contenu, comme c’est le cas de Bell, aussi propriétaire de CTV.

La neutralité du Net place tout le monde sur un pied d’égalité. Sans elle, les entreprises de télécommunications mondiales diviseront et contrôleront l’Internet ainsi que les contenus auxquels nous avons accès. La FCC courbe l’échine devant l’industrie des télécommunications, et ce sont les internautes qui en subiront les conséquences.

Cela nous affectera bien au-delà de l’industrie du divertissement, mais nous allons utiliser le modèle de la câblodistribution traditionnelle comme exemple de ce qui pourrait arriver dans un monde où l’Internet n’est plus neutre. Avec la télévision par câble, les consommateurs sont obligés de payer pour du contenu qu’ils ne veulent pas pour pouvoir obtenir le contenu qu’ils veulent. Ainsi, si Game of Thrones est votre émission préférée, il vous faut acheter un forfait de câble dispendieux comprenant la chaîne HBO. Bien sûr, vous payez aussi pour les autres chaînes choisies par le câblodistributeur. Voilà à quoi ressemble l’avenir d’Internet sans la neutralité du Net. Les grandes entreprises de télécommunications rendront certains contenus facilement accessibles, tandis que d’autres seront relégués au second plan, ce qui enlèvera aux consommateurs la capacité de choisir dont ils profitent actuellement.

Imaginez si la neutralité du Net n’avait pas été en place durant l’émergence de fournisseurs de contenu bien connus comme Netflix, Spotify ou Twitter. Ces plateformes n’auraient peut-être jamais pu s’établir dans l’industrie si elles avaient été reléguées sur les côtés tandis que d’autres, probablement de pâles copies de ces mêmes services, bénéficiaient des faveurs d’une entreprise de télécommunications.

Quelles innovations ne connaîtrons-nous jamais parce qu’elles ne pourront plus avoir un accès égal aux infrastructures d’Internet ? Dans ce modèle d’Internet fondé sur l’exclusion, les seuls gagnants seront les grandes entreprises de télécommunications.

L’écosystème Internet comprend de nombreux joueurs : l’Autorité canadienne pour les enregistrements Internet (ACEI) et d’autres dans l’industrie des noms de domaine, les fournisseurs de contenu, les petits et moyens fournisseurs de services Internet, ainsi que les entreprises créatrices de valeur, qu’elles soient à but non lucratif ou à but lucratif, comme Google. Bien qu’elle soit puissante, l’industrie des télécommunications n’est que l’un des joueurs dans cet écosystème diversifié. La grande majorité de la communauté Internet soutient les principes de la neutralité du Net, mais avec une seule mauvaise décision, la plus grande partie de cette communauté est mise de côté au profit d’un seul joueur.

La décision de la FCC, sous la conduite de son président Ajit Pai, un ancien dirigeant de Verizon, a valeur d’avertissement. Lorsque nous prenons nos aises et pensons que les façons de faire actuelles dureront toujours, il suffit parfois pour y mettre fin d’une seule personne ayant des intérêts divergents et la volonté d’apporter des changements. Qu’il s’agisse d’une fissure dans la démocratie, comme nous le voyons aux États-Unis, ou de fissures dans l’Internet lui-même, la complaisance peut signifier la fin de bien des choses.

Malheureusement, nous serons aux premières loges tandis que nous regardons l’Internet se démanteler aux États-Unis, et cela nous montrera exactement ce qui peut arriver si nous laissons se répandre cette mentalité dépassée.

Internet fait partie de notre existence quotidienne : c’est notre source d’information, de développement économique, d’activité sociale, de divertissement et bien plus encore. C’est devenu l’épine dorsale de notre société, le lien qui nous rattache au monde entier. La neutralité du Net est l’un des facteurs qui rendent l’Internet si précieux. C’est dans cet esprit que nous devons nous battre pour la préserver, au moment même où nos voisins du Sud sont en train de la perdre.

À propos de l’auteur
Byron Holland

Byron Holland (MBA, ICD.D) est président et chef de la direction de CIRA, l’organisme national à but non lucratif mieux connu pour sa gestion du domaine .CA et pour l’élaboration de nouveaux services de cybersécurité, de registre et de DNS.

Byron est un expert de la gouvernance de l’Internet et un entrepreneur aguerri. Sous l’égide de Byron, CIRA est devenue un des principaux ccTLD au monde en gérant plus de 3 millions de domaines. Au cours de la dernière décennie, il a représenté CIRA à l’échelle internationale et occupé de nombreux postes de dirigeant au sein de l’ICANN. Il siège présentement sur le conseil d’administration de TORIX en plus d’être membre du comité des mises en candidature de l’ARIN. Il habite à Ottawa en compagnie de son épouse, de leurs deux fils et de Marley, leur berger australien.

Les opinions partagées sur ce blogue sont celles de Byron sur des enjeux qui touchent l’Internet et ne représentent pas nécessairement celles de l’entreprise.

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